Malgré l’accumulation de vêtements dans leurs placards, les Français n’ont pas l’impression de surconsommer. C’est ce que montre l’étude que viennent de réaliser l’ADEME et l’Observatoire Société & Consommation (ObSoCo) sur les habitudes d’achats en matière d’habillement des Français.
Les pratiques d’achat en matière d’habillement sont très variables selon les individus mais leurs placards débordent. C’est ce que montre une étude réalisée en plusieurs phases entre le mois de janvier 2024 et le mois de février 2025 auprès d’un échantillon de 4000 personnes, avec le suivi d’une cohorte de 159 consommateurs sélectionnés et avec la réalisation d’entretiens. Le rapport dévoile que ce marché de l’habillement est porté par une minorité de gros consommateurs (entre 20% et 25% de la population selon les critères retenus) surreprésentés parmi une population jeune et urbaine, très sensibles à la dimension identitaire et esthétique des vêtements et au fait de renouveler régulièrement leur garde-robe. Si les achats en ligne progressent dans le secteur de l’habillement, comme dans l’ensemble de la consommation des ménages, les boutiques restent le lieu d’achat privilégié, chez les plus âgés mais également parmi les plus jeunes. «L’émergence des plateformes en ligne ne doit donc pas faire perdre de vue que la majorité des flux de vêtements passe encore par le commerce physique.»
Hors accessoires et sous-vêtements, les Français déclarent acheter en moyenne, dans le cadre de leur consommation personnelle (hors cadeaux et achats pour les enfants) treize pièces d’habillement chaque année. Un chiffre qui correspond aux données de Kantar mesurées sur une nomenclature comparable à la fin de l’année 2023 qui faisait état de 15 pièces par an pour les femmes, 8 pour les hommes, soit une moyenne globale d’un peu moins de 12 pièces par an.
Une garde-robe autour de 175 pièces par personne
Globalement les Français sous-estiment largement le nombre de vêtements dont ils disposent dans leur garde-robe. Interrogés durant la phase quantitative et guidés dans leur démarché, les répondants évaluent en moyenne à 79 pièces le nombre de vêtements dont ils disposent dans leurs placards alors que les revues de placards effectuées au domicile de 40 de ces consommateurs ont révélé un rapport moyen de 1 à 2,2 entre ces estimations et la comptabilité effective faite au domicile. Extrapolés à l’ensemble de la population ces résultats permettent d’estimer une garde-robe moyenne effective gravitant autour de 175 pièces par personne.
Plus de la moitié des vêtements dont disposent les Français dans leurs placards sont stockés mais ne sont plus utilisés et constituent un stock dormant. Extrapolé à l’échelle de l’ensemble de la population adulte de France métropolitaine, ce sont environ 120 millions de vêtements achetés il y a plus de 3 mois et encore à l’état neuf (pas du tout portés ou pas plus d’une fois ou deux) qui sont stockés dans les placards des Français.
Une forme de besoin à assouvir
Ces achats de vêtements aboutissant à un nombre de portées nul ou très limité sont deux fois plus fréquents chez les consommateurs adeptes des plateformes de mode ultra éphémère. Si 35% des Français jugent que la quantité de vêtements qu’ils possèdent tend à excéder leurs besoins, seuls 19% considèrent que les achats qu’ils réalisent chaque année sont excessifs. «Bien au-delà du strict besoin fonctionnel, les achats de vêtements sont fréquemment décrits durant la phase qualitative de l’enquête comme relevant de besoins de sociabilité voire d’intégration, d’identification, de distinction ou encore d’un plus simple besoin de se sentir bien dans ses vêtements (dans sa peau). Malgré les stocks accumulés et parfois désignés comme excessifs, les achats de vêtements continuent d’être décrits comme relevant d’une forme de besoin à assouvir. Un point qui amène à questionner la pertinence d’une communication empruntant cette sémantique du besoin pour sensibiliser les individus au sujet de la surconsommation de produits d’habillement.»
La mode ultra éphémère jugée de mauvaise qualité
Près d’un Français sur deux (45%) s’approvisionne dans au moins une enseigne assimilée à de la mode éphémère qualifiée «de première génération» (H&M, Zara, Primark étant les enseignes les plus emblématiques et les plus fréquentées de ce segment de l’offre). Toutes les catégories sociales s’y retrouvent et cette mode est plutôt bien évaluée par les consommateurs en termes de qualité et de durabilité des vêtements proposés (selon les enseignes, entre 54% et 85% des consommateurs qui considèrent que les vêtements vendus sont de bonne qualité). Sur ce point, l’enseigne Primark constitue une exception et se distingue avec des scores particulièrement bas. La mode ultra éphémère : celle distribuée exclusivement en ligne sur des plateformes telles que Shein, Temu, Asos ou encore Boohoo… touche une part plus réduite des consommateurs (24%). Cette clientèle est plus marquée sur le plan socio-démographique. Il s’agit d’un public majoritairement féminin (70% de femmes pour seulement 30% d’hommes), significativement plus jeune que la moyenne (38 ans d’âge moyen contre une moyenne nationale de 46 ans ; les plus de 55 ans sont presque complètements inexistants au sein de la clientèle de ces enseignes), surreprésenté parmi les ménages relativement modestes (57% percevant moins de 1500€ par mois et par unité de consommation contre 40% dans l’ensemble de la population).
«On note en revanche que la clientèle des enseignes de mode ultra éphémère se retrouve dans l’ensemble du territoire, avec une légère surreprésentation des communes rurales – au sein desquelles la plus faible implantation des enseignes traditionnelles (ainsi peut-être que les revenus parfois moins élevés de leurs résidents) profite manifestement aux plateformes de mode ultra éphémère.» Seuls 24% des consommateurs qui disent connaitre l’offre de Shein, jugent que les vêtements qui y sont vendus sont de bonne qualité. Cette part atteint seulement 16% pour Temu, 14% pour Aliexpress
La mode ultra éphémère entraine une sur-consommation
Les consommateurs de mode ultra éphémère sont deux fois plus nombreux que la moyenne à pointer comme critère de choix de leur enseigne principale, le fait de pouvoir acheter beaucoup de vêtements, les renouveler souvent. La part affirmant que leurs achats de vêtements ont augmenté depuis qu’ils fréquentent leur enseigne principale est également près de deux fois plus élevée que ce qu’on observe dans le reste du secteur. «Dans une moindre mesure, les consommateurs de mode ultra éphémère décrivent (plus fréquemment que la moyenne) une hausse du volume de leur garde-robe qui fait suite à la découverte de l’enseigne de ce secteur qu’ils fréquentent actuellement, ainsi qu’une diminution de la durée d’usage des vêtements. On note par ailleurs que la propension aux achats-erreurs (achats regrettés que les consommateurs n’ont ensuite que très peu portés, voire pas du tout) est particulièrement répandue dans les enseignes de mode ultra éphémère : ils concernent près d’un consommateur sur deux (45%) dont 18% pour qui ces erreurs sont arrivées à plusieurs reprises sur une période d’un an. »
L’attrait des prix bas et de la ludification des applications
Les prix bas proposés par les plateformes de mode ultra éphémère jouent un rôle majeur dans le renouvellement fréquent de la garde-robe. En outre, la ludification des applications et la présence importante de publicité tendent à pousser à l’achat impulsion. Cette fréquentation n’a en revanche pas un impact significatif sur le nombre de retours (commandes faites en ligne, intégralement ou partiellement renvoyées). Toutes catégories de consommateurs confondues, ces retours restent relativement marginaux : en moyenne 38% effectuent au moins un retour chaque année. Le nombre moyen de retours effectués sur une période d’un an par les personnes qui en font est de 2,2 (2,3 parmi la clientèle des plateformes de mode ultra éphémère).
La seconde main captée par Vinted
Le recours au marché de la seconde main pour la consommation de produits d’habillement concerne pour sa part près d’un Français sur deux (42%). Dans la très grande majorité des cas, ce marché s’organise désormais via les plateformes en ligne : 87% des acheteurs et vendeurs de vêtements de seconde main passent au moins par l’une d’entre elles. Vinted occupe une position de leader incontesté et capte à elle seule plus de 90% des acheteurs et clients de vêtements d’occasion. Elle se positionne loin devant Leboncoin (29%), malgré son ancienneté sur le créneau plus généraliste de la seconde main et très loin devant les autres acteurs du marché (Vide Dressing, Vestiaire Collective…), dont la pénétration excède à peine les 10% pour les plus gros d’entre eux.
Des publics différents pour l’achat et la revente
Seuls 27% des personnes ayant recours au marché de la seconde main cumulent la pratique de l’achat et de la revente de vêtements d’occasion. Les trois quarts restants pratiquent l’un ou l’autre de manière exclusive. Dans une large majorité des cas, les plateformes de seconde main sont perçues par les personnes qui y font des achats comme une source supplémentaire d’approvisionnement en vêtements peu onéreuse, un acteur de l’offre supplémentaire offrant l’opportunité de faire de bonnes affaires, davantage qu’une opportunité de consommer de manière plus sobre ou différemment. Le budget consacré à l’achat de vêtements d’occasion (en moyenne 115 euros par an et par consommateur de vêtements de seconde main selon les résultats de la phase quantitative de l’étude) représente une part minoritaire (en moyenne 30%) du budget total d’habillement des consommateurs concernés. L’essentiel du budget de ces consommateurs de seconde main reste donc majoritairement consacré au marché du neuf.
Seconde main et spirale consumériste
Le segment des utilisateurs des plateformes de seconde main est celui au sein duquel ont été comptabilisés les garde-robes les plus volumineuses et où elles sont le plus fortement sous-estimées. Plus d’un tiers des consommateurs de vêtements de seconde main (38%) consomment de la mode éphémère d’occasion – dont 13% des marques assimilées à la mode ultra éphémère. Les clients des enseignes de mode ultra éphémère étant surreprésentés parmi les usagers des plateformes de seconde main, il n’est pas étonnant de retrouver des produits issus de ces enseignes sur le marché de l’occasion.
Les achats et reventes de vêtements de seconde main ont fréquemment pour effet rebond un accroissement de la consommation des ménages – consommation de vêtements mais pas uniquement. Dans 51% des cas, les consommateurs de vêtements de seconde main réutilisent les économies réalisées pour acheter davantage de vêtements (11%) ou les consacrent à d’autres postes de dépenses. Les plus gros consommateurs de vêtements (ceux qui en achètent plusieurs fois par mois) sont 85% à réinjecter les gains permis par les reventes dans leur consommation – dont 43% pour racheter de nouveaux vêtements. « Si les plateformes de seconde main ont donc pour effet vertueux de démocratiser le marché de l’occasion et de donner une nouvelle vie à des vêtements qui n’auraient peut-être plus jamais été portés par leur ancien propriétaire, elles offrent également aux consommateurs une nouvelle opportunité de consommer des vêtements à prix unitaires très réduits, de les revendre pour en racheter très vite– alimentant ainsi parfois une spirale consumériste susceptible d’accroitre la vitesse de rotation des vêtements dans la garde-robe de ces consommateurs. »
Autre effet rebond du développement du marché de la seconde main : les utilisateurs des plateformes de seconde main sont les moins nombreux à jeter leurs vêtements directement à la poubelle, mais ils sont également les moins nombreux à les déposer en points de collecte. « Manifestement, la revente en ligne tend donc à se substituer à ces deux pratiques. Un effet rebond plutôt positif dans le premier cas, mais nettement moins dans le second – où la revente en ligne se substituerait finalement à une forme d’économie circulaire non-marchande déjà établie ».
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