En ouverture du NRF 2025 Retail’s Big Show Europe à Paris, Guillaume Motte, PDG de Sephora, a livré une vision ambitieuse du retail de demain. Entre sélection pointue des marques, expansion mondiale et expérience client augmentée par la technologie, l’enseigne démontre qu’un demi-siècle après sa naissance à Limoges, elle reste un laboratoire d’innovation pour le commerce.
Lorsque Guillaume Motte prend la parole devant des centaines de professionnels réunis à la Porte de Versailles, pour la première édition européenne du NRF Retail’s Big Show, le symbole est fort. L’événement s’installe en France, là où Sephora est née il y a 50 ans. «Je suis particulièrement heureux d’ouvrir cette première édition en Europe, dans le pays où notre aventure a commencé», confie le dirigeant.
Aujourd’hui Sephora est devenu un acteur global, présent dans 35 pays, avec plus de 3 200 magasins et un réseau de 500 marques partenaires. Son effectif de 56 000 collaborateurs témoigne de cette dimension internationale, dont 45 000 travaillent en magasin, au contact direct des clients. L’enseigne revendique par ailleurs 74 millions de membres fidèles dans ses programmes, un atout décisif pour personnaliser l’expérience et nourrir la relation. «Nous avons bâti une communauté qui partage avec nous ses préférences et ses attentes. C’est une richesse incomparable pour orienter nos choix et créer de la valeur», souligne Guillaume Motte.
Une croissance qui défie les cycles
Sephora, propriété du groupe LVMH, reste discrète sur ses chiffres. Mais son PDG a livré un repère : un chiffre d’affaires estimé à 16,4 milliards d’euros en 2024, et une croissance qui a quasiment triplé en 10 ans. Depuis la pandémie, l’activité a même doublé, confirmant la résilience du modèle. «Le retail n’est pas condamné à la morosité. Il peut être une formidable source de croissance si nous savons créer cette croissance», indique Guillaume Motte.
L’exemple du Moyen-Orient illustre ce volontarisme. Alors que certains s’interrogeaient sur la pertinence d’ouvrir un magasin en Oman pour un marché estimé à dix millions de dollars, le pari a été tenté. Résultat : un premier point de vente réalisant 17 millions de dollars de chiffre d’affaires, et surtout la création d’un marché inexistant jusque-là. «Nous ne nous contentons pas d’attendre la croissance. Nous la provoquons», résume le dirigeant.

Des produits exclusifs et une offre sélective
Au cœur de cette dynamique se trouve l’offre produits, conçue comme un levier d’innovation en soi. «Un produit sur deux vendu chez Sephora ne se trouve nulle part ailleurs», assure le PDG. Cette exclusivité est nourrie par une stratégie de curation assumée. Contrairement à d’autres distributeurs, Sephora ne s’appuie pas sur de simples acheteurs, mais sur des «merchants» capables de détecter des tendances, de collaborer étroitement avec les marques et même de co-développer des gammes. Cette approche a permis l’émergence de pépites devenues références mondiales, comme Drunk Elephant, née d’une idée apportée par une consommatrice venue en magasin avec un seul savon, ou Makeup by Mario, marque vegan de cosmétiques fondée par un ancien conseiller Sephora devenu maquilleur des célébrités. Plus récemment, le lancement de Rhode par Hailey Bieber a provoqué des files d’attente impressionnantes et des ventes record. «Le retail, c’est éveiller nos clients par l’offre et par la façon dont elle prend vie», insiste Guillaume Motte.
Le magasin, toujours lieu d’émotion et de communauté
À l’heure où certains annoncent le déclin des points de vente, Sephora affirme au contraire leur rôle central. L’ouverture d’un magasin à Londres aurait attiré 4 000 clients dès la première nuit. «Pourquoi faire la queue alors que les produits sont disponibles en ligne ? Parce que nos clients cherchent à vivre une expérience et à appartenir à une communauté», explique le PDG. Les magasins Sephora intègrent des espaces dédiés, comme les Beauty Hubs, où les visiteurs peuvent tester des produits, suivre des masterclasses ou bénéficier de diagnostics personnalisés. La technologie y occupe une place croissante, à travers le Beauty Scanner qui identifie le ton idéal d’un fond de teint, ou encore des dispositifs de diagnostic de peau. Ces données sont ensuite intégrées dans l’application mobile pour prolonger la personnalisation en ligne. Cette articulation entre physique et digital est la clé de voûte de l’expérience omnicanale que Sephora veut offrir. «Je ne sais même plus définir ce qui est online ou offline», reconnaît Guillaume Motte. «Ce qui compte, c’est la fluidité du parcours et la capacité à conseiller nos clients de la meilleure manière, où qu’ils se trouvent.»
L’omnicanal, entre fluidité et rapidité
Si un tiers du chiffre d’affaires de Sephora est aujourd’hui réalisé en ligne, Guillaume Motte insiste : la distinction entre physique et digital n’a plus de sens. «Je pourrais donner un montant précis, mais, en réalité cela n’a pas d’importance. Un achat initié sur l’application et finalisé en magasin est-il digital ou physique ? Je n’ai pas la réponse, et ce n’est pas ce qui compte. L’essentiel, c’est que le parcours soit fluide et sans friction.» Cette approche traduit une conviction forte : l’omnicanal n’est pas un simple canal supplémentaire, mais une nouvelle grammaire du retail. Ainsi, Sephora déploie des outils d’intelligence artificielle pour affiner les recommandations produits, notamment dans des catégories complexes comme les soins de la peau. Le conseil, cœur du métier, se nourrit désormais autant de la technologie que de l’expertise humaine.
La logistique est également repensée. Avec ses 3 400 magasins assimilés à autant de mini-entrepôts, Sephora dispose d’une infrastructure solide pour garantir la proximité. «Nous avons la capacité de livrer en une heure parce que nos magasins sont au cœur des zones de vie», précise le dirigeant. Des partenariats avec Instacart, Deliveroo ou Lyft permettent dorénavant de tester des modèles hybrides, allant de la livraison express à l’accompagnement des clients jusqu’aux points de vente pour encourager l’expérience en magasin.
Construire des communautés autour de la beauté
La stratégie de Sephora ne s’arrête pas à la fluidité technologique. Elle s’appuie aussi sur un capital relationnel impressionnant : 74 millions de clients fidèles actifs. Ces membres des programmes de fidélité ne sont pas de simples clients : ils constituent une communauté vivante, nourrie par la personnalisation des parcours et des services. «Nos adhérents nous confient leurs préférences, leurs habitudes d’achat, leurs attentes. C’est une confiance immense et une source de données incomparable pour leur offrir un conseil pertinent», insiste Guillaume Motte. Les avantages vont au-delà des réductions classiques : accès à des leçons privées d’experts, événements en boutique réservés, ou participation à des sessions exclusives.
Ces initiatives trouvent leur prolongement dans des manifestations culturelles à grande échelle. À Shanghai, Paris ou Dubaï, Sephora organise Sephoria, annoncée par son dirigeant comme «une immersion dans le meilleur de la beauté et de l’innovation», conçue pour fédérer les passionnés. En Espagne, l’enseigne a inventé «Summer Vibes», une présence estivale dans les festivals pour rencontrer la clientèle là où elle se trouve. Au Brésil, elle a contribué à transformer Halloween en véritable rendez-vous beauté. «Nous voulons que Sephora soit plus qu’un distributeur : une marque culturelle, ancrée dans le quotidien et les imaginaires de nos clients», résume le PDG.
L’humain, socle de la différenciation
Derrière la technologie et les produits, Guillaume Motte insiste sur ce qu’il considère comme le cœur du modèle : les équipes. «Le retail est un métier de personnes. Ce qui marque ду client, ce n’est pas seulement le mascara qu’il achète, mais le sourire et le conseil qu’il reçoit», affirme-t-il. Chez Sephora, les collaborateurs travaillant en magasin sont l’interface essentielle entre la marque et les consommateurs. L’entreprise mise sur la promotion interne, avec deux tiers des postes pourvus par mobilité, et ambitionne d’atteindre trois quarts à terme. La Sephora University accompagne ces parcours, en formant les conseillers à la fois sur les produits et sur les compétences managériales. «Le commerce est une formidable école. Une collaboratrice peut commencer comme conseillère beauté et devenir directrice d’un magasin réalisant 30 millions de dollars. Ces trajectoires sont possibles, et elles sont nombreuses», raconte Guillaume Motte. L’attention portée aux conditions de travail est également mise en avant. Dans certaines régions, comme le Moyen-Orient, Sephora a réduit la semaine de travail de six à cinq jours sans perte de salaire, une première dans le secteur. «Être leader, c’est aussi repenser la manière dont on travaille et rendre nos métiers attractifs», insiste le dirigeant.
Pour Guillaume Motte, l’avenir du retail repose sur la capacité à conjuguer exclusivité des produits, expérience vécue en magasin, fluidité omnicanale, animation communautaire et engagement des équipes. Cette combinaison qu’il appelle sa «formule magique», aurait permis à Sephora de tripler son activité en 10 ans et de devenir l’un des rares distributeurs multimarques classés parmi les cent enseignes les plus puissantes du monde. «En retail, nous ne sommes jamais meilleurs que la dernière visite client», rappelle-t-il. Si le commerce reste une industrie d’avenir, son dynamisme dépend de la créativité et de la responsabilité des acteurs.
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