La grammaire de l’IA rebat les cartes du marketing et de l’expérience client

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L’intelligence artificielle n’est plus un sujet d’innovation marginal, en 2025 elle redéfinit la manière dont les marques dialoguent avec leurs clients, comme l’explique Thomas Husson, chez Forrester Research.

Thomas Husson, vice-président et principal analyst chez Forrester Research, décrypte une révolution : celle des moteurs de réponse, de l’émotion et de la personnalisation à grande échelle.«Nous passons d’un monde de moteurs de recherche à un monde de moteurs de réponse», observe l’analyste invité à donner le coup d’envoi de la dernière édition de One to One IA x Expérience Client à Biarritz. L’intelligence artificielle n’est plus un sujet d’innovation marginal. En 2025, elle redéfinit la manière dont les marques dialoguent avec leurs clients. Cette transition — amorcée par les outils conversationnels comme ChatGPT, Perplexity ou Gemini — bouleverse à la fois les stratégies de contenu, les interfaces et les architectures de l’expérience client.

Du SEO au «Response Optimization»

Depuis l’avènement des IA génératives intégrées aux navigateurs et aux smartphones, les habitudes de recherche se déplacent. «On observe une baisse moyenne de 6 à 7 % du trafic organique», indique Thomas Husson, rappelant que les internautes n’ouvrent plus une dizaine d’onglets : ils attendent une réponse directe. Les marques comme Coca-Cola, L’Oréal ou Mondelez en ont pris conscience : elles travaillent désormais à rendre leurs contenus détectables, compréhensibles et «crawlables» par ces nouveaux moteurs. Forrester parle de «Response Optimization», un prolongement du SEO centré sur la façon dont les IA comprennent et hiérarchisent les contenus. «Ce n’est plus seulement une question d’optimisation technique», ajoute Husson. «C’est une transformation radicale du narratif de marque.» Pour apparaître dans les réponses, il faut anticiper les intentions des utilisateurs et structurer la donnée : contenu institutionnel, expertise, sources fiables, ton cohérent. L’enjeu est de redevenir visible dans un univers où la recherche est médiée par des modèles de langage.

intelligence artificielle clients @clesdudigitalL’IA, nouvelle interface de la relation client

Pour Forrester, le véritable tournant ne réside pas dans la technologie elle-même, mais dans son mode relationnel. «L’IA est en train de devenir la nouvelle interface utilisateur», affirme Thomas Husson. À l’image des révolutions passées — la télécommande, le clavier, l’écran tactile — la conversation vocale et textuelle redéfinit la manière d’accéder aux services. Les consommateurs n’iront plus chercher une marque : ils lui parleront.

Certaines entreprises pionnières ont déjà intégré cette approche. Uber et Booking.com, nées à l’ère du mobile, ont bâti leur succès sur la contextualisation des interactions : une notification au moment exact, un message géolocalisé, une réponse instantanée. « Ce que ces acteurs faisaient par design, l’IA conversationnelle va le généraliser », anticipe l’intervenant.

Les interfaces multimodales combinant texte, voix et geste, offriront demain une expérience client « réassemblée » en temps réel. Fin du parcours client linéaire ; place à l’interaction fluide, continue, prédictive.

Un marketing entre émotion et raison

Mais cette promesse d’immédiateté soulève une tension : comment concilier affect et automatisation ? Le thème choisi par l’organisateur pour cette édition « désir et data » en dit long. «On voit émerger des usages personnels et intimes de l’IA », confie Thomas Husson. « Des adolescents testent leurs émotions, cherchent du conseil amoureux auprès d’agents conversationnels. » Ce glissement de la sphère personnelle à la sphère commerciale interroge. L’IA s’installe dans l’intimité du client : elle observe ses besoins, détecte ses «émotions», anticipe ses «désirs». Pour les marques, la frontière entre accompagnement et intrusion devient ténue.

«Si les contenus produits par les IA deviennent fades, standardisés, ils nivellent l’expérience par le bas», avertit Thomas Husson. «L’émotion reste le dernier levier différenciant.» Autrement dit : la technologie doit amplifier l’intention, pas l’éteindre.

intelligence artificielle clients @clesdudigitalLes pionniers de la personnalisation à grande échelle

Forrester observe déjà des stratégies différenciatrices chez plusieurs géants mondiaux. L’Oréal, Coca-Cola et Mondelez investissent massivement dans la personnalisation de contenus à grande échelle. Mondelez, groupe propriétaire de plus de 25 marques de confiserie et de chocolat (Milka, Cadbury, Toblerone), consacre plus de 200 millions de dollars à la création de campagnes adaptées localement, jusqu’à la personnalisation de visuels et de vidéos. Chez L’Oréal, les équipes de marketing digital travaillent à synchroniser leurs «assets» globaux avec des modèles de langage capables de calibrer en temps réel les messages selon le canal et la cible. Quant à Coca-Cola qui se positionne en « pionnier de l’IA générative inventive », le groupe expérimente la génération d’images et de récits de marque à partir de prompts internes pour nourrir ses campagnes mondiales.

Ces initiatives témoignent d’une même conviction : la donnée et le contenu ne suffisent plus. Il faut un «modèle de marque» qui orchestre les interactions, les émotions et la cohérence narrative à travers tous les points de contact.

Quand la confiance devient un actif stratégique

Cette hyper personnalisation fait émerger un nouveau critère de différenciation : la confiance. Forrester mesure désormais l’«expérience totale», qui englobe non seulement la satisfaction client, mais aussi la perception de la marque et la fidélité émotionnelle. Dans le secteur banque-assurance, l’étude récente du cabinet distingue Revolut, Crédit Mutuel et Maif comme des marques performantes sur cet aspect. À l’inverse, d’autres perdent du terrain faute d’alignement entre leurs valeurs et les attentes sociétales.

«On n’achète pas seulement un produit, mais une cohérence», résume thomas Husson. Il cite Tesla comme exemple paradoxal : «fit» technologique parfait, mais dissonance éthique grandissante. Le consommateur d’aujourd’hui arbitre autant avec son cœur qu’avec sa raison. Et c’est dans cet équilibre que se joue désormais l’avenir de la relation client.

Vers la fin du parcours client ?

Pour Thomas Husson, la révolution à venir n’est pas un simple «plus vite, plus fort» du marketing automation, mais une refondation complète. «Le parcours client, tel qu’on le connaissait, est appelé à disparaître.» L’IA contextualisera la demande, analysera le geste ou la voix, et proposera directement l’action — sans passer par les étapes traditionnelles du site, du formulaire ou du clic. Une expérience instantanée, fragmentée, recomposée à la volée. «Si vous ne savez pas encore envoyer une notification mobile pertinente aujourd’hui, vous serez dépassé demain», ironise le professionnel. Car dans ce futur d’interactions immédiates, la réactivité devient la nouvelle fidélité.

intelligence artificielle clients @clesdudigitalRepenser les organisations à l’heure des agents intelligents

Dans la continuité de son intervention, Thomas Husson a insisté sur un point moins visible, mais essentiel : la transformation par l’IA est avant tout une affaire de culture d’entreprise. Si les technologies progressent vite, les organisations, elles, avancent lentement. Les directions marketing expérimentent des outils, testent des modèles, créent parfois des prototypes d’agents internes, mais rares sont celles qui parviennent à transformer ces initiatives en leviers structurants. «La majorité des directions marketing sont encore dans une phase de découverte», observe-t-il. Les outils sont souvent utilisés pour des gains de productivité, la rédaction automatisée, la segmentation, le reporting, mais sans réflexion globale sur les modèles de travail. L’IA est perçue comme un prolongement des logiciels existants, alors qu’elle impose de repenser la manière même de collaborer. La promesse d’une orchestration intelligente, où les agents s’échangent de l’information pour concevoir, personnaliser ou décider, reste encore largement théorique.

Un risque de déconnexion entre la technologie et les métiers

Ce décalage tient souvent à la gouvernance. Dans de nombreuses entreprises, le déploiement des solutions d’IA reste piloté par les équipes techniques : les DSI, les architectes ou les responsables sécurité. Or, selon Forrester, les usages réellement créateurs de valeur naissent quand les directions métiers sont associées dès le départ.

Thomas Husson rappelle les écueils déjà connus de la transformation digitale : des outils puissants mais sous-utilisés, des modèles mal paramétrés, des indicateurs sans traduction opérationnelle. « Il ne suffit pas d’acheter une technologie ; il faut la rendre vivante dans les équipes », explique-t-il. La maturité ne se mesure donc pas à la sophistication des modèles, mais à la capacité d’une organisation à mobiliser ses talents autour d’une même logique d’expérience client. Cette redéfinition culturelle suppose d’accepter que l’IA ne soit plus un simple outil d’optimisation, mais un partenaire de décision. Cela implique aussi de former les collaborateurs à comprendre les biais, à interpréter les suggestions générées et à préserver un sens critique face à la machine.

La souveraineté des données, nouveau champ de bataille

Au cœur de cette mutation, la question de la donnée prend une dimension stratégique. L’IA générative amplifie la dépendance aux sources : qui les détient, qui les alimente, qui en garantit la qualité ? Dans un écosystème où la majorité des contenus sont aspirés, recomposés et réutilisés, les marques doivent apprendre à protéger leur capital informationnel.

Thomas Husson évoque l’émergence d’une nouvelle discipline : la «gouvernance émotionnelle» de la donnée. Il ne s’agit plus seulement de conformité réglementaire, mais de maîtrise symbolique. Savoir quelles informations incarnent la marque, quelles valeurs elles transmettent, et comment ces traces numériques se répercutent dans les conversations d’agents. Pour les acteurs du commerce, cette souveraineté devient un avantage concurrentiel. Les entreprises capables de relier données internes, signaux faibles du marché et compréhension contextuelle disposeront d’une longueur d’avance dans la personnalisation et la pertinence des messages. Cette maîtrise suppose aussi une rigueur nouvelle dans la vérification des réponses produites : contrôle de la véracité, cohérence du ton, respect de la confidentialité. Autant d’exigences qui redéfinissent le rôle du marketing comme garant du sens et non plus seulement de la performance.

De la productivité à la confiance : un basculement de paradigme

L’un des constats les plus marquants présentés par Forrester Research tient à ce glissement : les entreprises ne pourront plus se différencier uniquement par la rapidité d’exécution. L’efficacité, hier moteur principal du marketing digital, cède la place à la confiance comme valeur cardinale. Thomas Husson parle d’un «changement de paradigme invisible» : la technologie devient crédible quand elle s’efface au profit d’une expérience fluide, respectueuse et contextualisée. Dans ce modèle, la confiance n’est pas un supplément moral ; c’est une condition économique. Les consommateurs récompensent désormais les marques qui savent écouter, expliquer, corriger, et reconnaître leurs erreurs. Des comportements qui exigent une gouvernance responsable de l’IA et de la donnée. Ce basculement s’accompagne d’une exigence d’éthique appliquée : comment s’assurer qu’un agent conversationnel ne produise pas de biais, ne manipule pas les émotions, ne renforce pas les stéréotypes ? Pour Forrester, ces questions ne relèvent plus uniquement des comités RSE, mais du cœur de la stratégie marketing.

«La question n’est plus d’adopter l’IA, mais de savoir comment l’habiter», estime Thomas Husson. Dans les années à venir, la maturité se mesurera à la capacité des entreprises à relier trois dimensions : la compréhension des intentions, la cohérence des valeurs et la capacité à inspirer confiance. Les marques qui réussiront seront celles qui sauront orchestrer leurs agents comme on dirige un orchestre : avec méthode, mais aussi avec sensibilité. Car, dans un monde saturé d’algorithmes, l’émotion resterait-elle le dernier avantage compétitif ?

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