Le Covid-19 est devenu le patron de l’innovation

Temps de lecture : 7 minutes

La crise a poussé les enseignes dans la transformation @clesdudigitalLa crise sanitaire a poussé les enseignes à aller plus vite dans la transformation numérique. Les innovations se sont multipliées partout dans le monde. Revue de détail avec l’éclairage de Mike Hadjadj,  fondateur de Iloveretail.fr, et les témoignages de responsables chez PicWicToys, le groupe Louis Delhaize et Mobivia.

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Mike Hadjadj

Avec ses 160 conférences, le chapitre un du salon NRF qui s’est déroulé en janvier en virtuel a aussi été l’occasion de dresser un bilan en chiffres de cette année 2020 si particulière pour le retail. «2020, l’année où les distributeurs ne reconnaissent plus rien, pas même leurs clients ni leurs magasins», souligne Mike Hadjadj. Le fondateur de Iloveretail.fr, qui d’habitude déambule dans les allées du salon new-yorkais et accompagne sur place les startups de la French Tech, a cette année restitué virtuellement cette édition aux côtés de Cap Digital et invité quelques représentants d’enseignes à réagir face à ces bouleversements.

«La part des ventes en ligne a doublé passant de 9% à 18% du commerce mondial, le drive a explosé, 75% des paiements par carte Visa se font sans contact», énonce le consultant. Il cite aussi les quatre fois plus d’utilisateurs du drive et de la livraison chez Walmart sur le premier trimestre avec la progression la plus forte remarquée chez les plus de 65 ans. Bref, les comportements ont changé dans le monde entier et ils devraient perdurer. Tous les grands distributeurs ont du revoir leurs supply chains, leurs process numériques et faire preuve d’agilité. «En Grande-Bretagne Aldi a ouvert 200 drive en quatre mois et E.Leclerc a gagné sur le drive en 2020 le chiffre d’affaires qu’il comptait faire en 2024», rappelle Mike Hadjadj.

Pour Édouard de Miollis, directeur digital data et expérience au sein du groupe Louis Delhaize (Cora), le mode de consommation via le drive est «bien établi, voire semble progresser» et pousse le distributeur à s’organiser. Mais il bénéficie d’un avantage certain puisque quelques 30 000 références sont déjà disponibles en ligne avec du picking magasin. «Ce qui nous a permis de nous différencier assez fortement», estime Édouard de Miollis. Le distributeur a pu aussi profiter de son statut de commerce dit « essentiel » ce qui n’est pas le cas d’autres distributeurs spécialisés comme PicWicToys dont trois magasins sont encore aujourd’hui fermés à cause des nouvelles restrictions qui touchent les centres commerciaux. L’enseigne qui a par ailleurs subi deux confinements (et qui a récemment annoncé un plan social avec les fermetures de 23 magasins déficitaires sur les 63 en France, et d’un entrepôt logistique) n’était pas prête pour affronter le premier et ne disposait alors d’aucune solution pour compenser la perte de chiffre d’affaires des magasins.

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Édouard de Miollis

«Le web tournait mais sans stratégie de mutualisation de stock et sans pouvoir répondre aux demandes de produits qui évoluaient considérablement», rappelle Mathieu Charent, team leader offre et achats chez PicWicToys. Ce choc «violent» a néanmoins conduit l’enseigne à ouvrir 45 drives en quinze jours. «Le Covid a été un agent d’innovation relativement fort», estime le responsable. Au second confinement le spécialiste du jouet qualifié de « non essentiel » quelques semaines avant Noël, était prêt après avoir mis en place un outil d’OMS (order management system) et après avoir rendu tous ses magasins disponibles pour le « ship from store » «qui a permis sur les 15 premiers jours de novembre d’enregistrer les mêmes performances que lorsque les magasins étaient ouverts». Le groupe a pu aussi accumuler beaucoup de datas sur la gestion de projets, affiner ses indicateurs et ses analyses, et finalement gagner du temps pour mieux orienter sa stratégie pour les mois et les années qui suivent.

La crise a poussé les enseignes dans la transformation @clesdudigitalProtection de l’environnement et sécurité sanitaire

Pendant cette édition virtuelle du Big Show il a été aussi beaucoup question d’environnement et de durabilité, de RSE, souvent mêlés aux sujets portant sur la sécurité sanitaire selon Mike Hadjadj. Ils sont 57% des consommateurs américains à attendre des initiatives sociales et environnementales de la part des retailers et 77% déclarent qu’ils seront plus prudents en matière de propreté, de santé, de sécurité et de durabilité. Poussé par les digital natives, H&M a déclaré vouloir accélérer vers plus d’éthique et moins d’empreinte carbone. Ikea a renforcé le dialogue avec ses communautés de clients, lancé une offre de seconde main avec la possibilité de retourner ses vieux meubles et créé quelques magasins dédiés. Chez Home Depot, 80% des initiatives RSE remontent via les collaborateurs.

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Charles Deberdt

D’autres propositions ont émergé comme chez Unilever qui s’est associé à Alibaba pour développer un système de recyclage basé sur l’IA qui identifie et trie les emballages plastiques. Dans un tout autre registre, la chaîne de pharmacies Walgreens est pour sa part devenue un acteur majeur de la vaccination aux États-Unis, profitant du même coup d’un trafic en hausse avec un million de visiteurs accueillis dans ses magasins en un mois. En France, des entreprises prennent aussi des initiatives. Mobivia (centres d’entretien et de réparation auto de la galaxie Mulliez avec les enseignes Norauto, Midas, Carter-Cash) a développé un pôle de développement durable pour le recyclage, la dépollution des garages. «Nous utilisons aussi l’IA pour optimiser les tournées de livraison avec nos prestataires», explique Charles Deberdt, chef de projet innovation chez Mobivia.

Des innovations à la pelle

Tous les observateurs sont d’accord pour affirmer que cette crise a non seulement boosté l’innovation mais aussi  accéléré les transformations numériques. «Nous avons gagné cinq ans en cinq semaines» souligne Mike Hadjadj qui cite plusieurs exemples comme le premier « social retail store » de Burberry imaginé avec Tencent à Schenzen en Chine et où tout se passe sur Wechat via un mini programme qui intègre les opérations en ligne et hors ligne du magasin, ou encore l’opération du centre commercial Brookfield à New York avec la start-up Fit:Match, fournisseur d’une technologie 3D pour scanner les mesures, qui permet l’essayage virtuel des vêtements vendus par les enseignes du centre après l’obtention d’un ID personnel. Target a pour sa part imaginé une application de « virtual queuing » pour prendre rendez-vous et ne plus faire la queue en magasin.

La crise a poussé les enseignes dans la transformation @clesdudigitalA Londres, Capgemini vient d’inaugurer en collaboration avec la plateforme d’expérience connectée SharpEnd et la plateforme médiatique mondiale The Drum, le CornerShop, conçu pour que les marques, les détaillants et les acheteurs, dans les domaines de l’alimentation et des boissons, des cosmétiques et de la mode, testent les dernières technologies en particulier avec le mobile. Il a aussi été question d’essayage virtuel de maquillage avec Google, du « live shopping » qui a explosé en Chine et se développe fortement en France, du boom des abonnements en ligne et de l’auto-refill ou commandes automatiques, des visites virtuelles de magasins en ligne…

En France, les distributeurs ne sont pas en reste. PicWicToys a continué à cultiver des liens avec sa clientèle en organisant des séances de « live shopping » avec les startups Caast et Spockee, a développé des interfaces pour communiquer via SMS (jusqu’à 8000 à 9000 SMS par jour selon Mathieu Charent) et pour opérer aussi des transactions. «Les magasins étaient à la manœuvre. Ils ont pu parfois transformer jusqu’à trois conversations sur quatre, certaines journées», affirme le responsable. L’enseigne a aussi fait des tests pour gérer les promotions localement et chercher à adapter son langage sur les réseaux sociaux. «Nous avons beaucoup gagné en maturité sur ce point en nous adressant différemment sur Facebook, Instagram ou sur Tik Tok. Pour ce dernier, nous nous sommes appuyés sur des personnes qui avaient les compétences pour parler à ce réseau. Cela nous a permis d’enregistrer trois millions de vues en trois semaines». Le groupe Louis Delhaize a lui aussi testé quelques expériences numériques. En Belgique, il a numérisé en 3D les rayons de jouets de ses points de vente et mis en place un service de « ask and collect » pour contrer l’interdiction de vente des produits « non essentiels » en magasin.

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Mathieu Charent

De nouvelles expériences à venir grâce aux technologies

Les prochaines années devraient encore laisser la place à de nouvelles expériences. «Quarante pour-cent des consommateurs américains se disent prêts à être livrés par des robots ou des drones et plus de vingt milliards de colis devraient l’être avec ces technologies en 2030. Ces mêmes consommateurs se disent aussi prêts à 45% à être guidés par des robots en magasin. D’autres (27%) ne sont pas contre donner leur ADN pour obtenir des recommandations de produits et plus d’un sur quatre est prêt pour des commandes automatiques», observe Mike Hadjdadj. Des déploiement sont déjà en cours. La crise du Covid fait pousser des ailes aux livraisons par drones. Un article récent publié dans Le Monde cite de nombreux exemples de transports de tests PCR et de vaccins aux États-Unis avec les startups Zipline, ou DroneUp, partenaire de Walmart, ou encore des drones de Flirtey avec la société de distribution Vault Health dans le nord du Nevada et de ceux de Draganfly dans le Texas. En Europe, plusieurs programmes sont sur le feu comme le projet de logistique médicale Caelus en Écosse ou en France avec Normandie AeroEspace.

Du coté des chariots intelligents, après plusieurs tests Kroger a mis en place ces dispositifs en magasin avec Caper. En France la startup Knap expérimente ces chariots dans deux points de vente Monoprix dont celui de Montparnasse récemment inauguré. D’autres expériences verront le jour grâce aux outils de « computer vision », aux solutions d’intelligence artificielle qui, reconnaissant les articles en rayon, détectent les ruptures (comme le propose le français Believe.ia), à l’impression 3D (à l’instar de L’Oréal qui a imaginé Perso pour faire son rouge à lèvres sur mesure à la maison, commercialisé aujourd’hui par Yves Saint-Laurent), aux outils de géolocalisation pour trouver ses articles en rayon et rendre les consommateurs plus autonomes. La prochaine décennie devrait encore apporter son lot d’innovations au service des clients car «la capacité des retailers à s’adapter et la personnalisation de l’expérience restent essentielles», estime Mathieu Charent.

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