Les commerçants continuent de s’alarmer face à la concurrence des plateformes chinoises et d’alerter les pouvoirs publics sur l’arrivée massive de ces produits importés non contrôlés. Ils réclament des mesures immédiates et concrètes au gouvernement.
«A quand des actes véritables et courageux ?» Les dernières mesures annoncées par le gouvernement pour faire face à afflux des colis venus de Chine n’ont pas convaincu les commerçants qui pressent le gouvernement pour qu’il agisse «avec fermeté.» Mardi 29 avril dernier, pas moins de quatre ministres dont Eric Lombard (Économie et finances), Amélie de Montchalin (Comptes publics), Véronique Louwagie (Commerce et artisanat) et Clara Chappaz (Intelligence artificielle et numérique) s’étaient déplacés à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle pour parler «régulation et sécurité des plateformes de e-commerce.» Quelques jours avant, le ministre français de l’Économie s’était exprimé sur BFM faisant part de ses craintes face à une déferlante des colis chinois après la décision de Donald Trump de mettre fin à l’exemption tarifaire américaine pour les petits colis d’une valeur inférieure à 800 dollars. Même si les États-Unis et la Chine viennent d’annoncer, lundi 12 mai, la suspension pendant quatre-vingt-dix jours d’une partie de leurs droits de douane punitifs – les droits de douane américains sur les produits chinois concernés repassent à 30% et dans l’autre sens, ces droits reviennent à un taux de 10% – la question d’un déferlement de ces articles à bas coût sur le sol européen est loin d’être réglée.«600 avions gros-porteurs s’envolent chaque nuit de Chine pour livrer des colis en Europe», a d’ailleurs constaté Eric Lombard sur l’antenne de BFM.
Des dépenses publicitaires en hausse en Europe
Autre constat alarmant : déstabilisés par les mesures américaines, Shein et Temu ont déjà fortement augmenté leurs dépenses publicitaires en Europe, selon les données de la société d’intelligence économique Sensor Tower. D’une année sur l’autre, Temu a augmenté ses dépenses publicitaires de 115 % en France et Shein de 45 % en France par apport à l’année dernière en avril. Shein s’est même offert une vaste campagne de communication, visible du 28 avril au 4 mai, en presse quotidienne nationale et régionale, et en affichage. Signée Havas, elle mettait l’accent sur l’accessibilité de sa mode à bas prix.
Shein mène aussi de nombreuses actions de lobbying en France et auprès des instances européennes. La plateforme a enrôlé notamment l’ancien ministre Christophe Castaner, l‘ex secrétaire d’État Nicole Guedj, le membre du parti de droite allemande CDU Günther Oettinger, ou encore en France, la communicante Anne Meaux d’Image 7, et Plead, filiale de Havas Group, comme l’a dévoilé un article du Monde.

Face à cette augmentation des investissements en communication, les mesures annoncées par les ministres semblent bien dérisoires. Au programme : le paiement de «frais de gestion» pour tous les petits colis entrant en Europe. Ils serviront à financer les contrôles, appelés à se renforcer, pour ces articles en provenance majoritairement de Chine. Cette taxe serait appliquée à partir de 2026, jusqu’en 2028, date à laquelle l’Union européenne pourrait supprimer l’exonération de taxe douanière sur les colis d’une valeur inférieure à 150 euros, arrivant depuis des pays extérieurs à l’Union européenne.
Des produits majoritairement non conformes
Il y a urgence car sur les 800 millions de petits articles qui arrivent chaque année sur notre territoire, «91% viennent de Chine, avec une vague massive de produits souvent dangereux», a relevé Amélie de Montchalin. 94% de ces produits seraient ainsi «non conformes, dont 66% pour dangerosité.» Selon la ministre, il s’agit donc de faire «payer aux importateurs, aux plateformes, et non pas aux consommateurs, un petit montant forfaitaire sur les colis.» Une annonce qualifiée de «hors sol qui fait rire ou pleurer selon où l’on se place», pour Jean-Christophe Garbino, président de l’enseigne de mode Grain de Malice, qui a exprimé sa colère sur Linkedin. «Autant dire que le champagne a dû couler à flot chez Shein et Temu (…) S’il s’agissait de commerçants français, ils auraient été fermés et leurs dirigeants durement sanctionnés», a t-il écrit.
La confédération des Commerçants de France (CDF) et le Conseil du Commerce de France (CdCF) ont aussi réagi face à ces chiffres alarmants. «Notre marché est massivement inondé de produits importés non contrôlés, souvent dangereux pour les consommateurs, et destructeurs de valeur pour l’ensemble de l’économie française et de ses entreprises de commerce en particulier. Les géants chinois du e-commerce (Temu, Shein ou AliExpress) prospèrent selon un modèle qui échappe aux règles communes : droits de douane éludés, TVA sous-collectée, normes de sécurité bafouées, règles d’information et de protection du consommateur non respectées.»

Pour un retour à une concurrence loyale et équitable entre les acteurs
Pour le Conseil du Commerce de France qui regroupe une trentaine de fédérations professionnelles et la confédération des Commerçants De France composée de 23 fédérations, il en résulte «un dumping légal et sanitaire, au détriment des commerçants et des e-commerçants français qui, eux, respectent scrupuleusement la réglementation, investissent dans la qualité, garantissent la sécurité des produits, créent de l’emploi local et dynamisent les territoires… ». Les deux organisations demandent des mesures immédiates et concrètes dont un renforcement immédiat et significatif des contrôles par les douanes des colis en provenance des pays à risque, notamment la Chine, le retrait du marché des produits reconnus non conformes aux normes européennes. Elles réclament également le contrôle du respect de l’ensemble des réglementations nationales et européennes, notamment en matière de pratiques commerciales, ainsi que l’application effective des sanctions prévues par la loi en cas de manquement. Enfin, elles exigent le déréférencement sur le marché français pour les plateformes récidivistes, comme cela avait été appliqué à Wish en 2021, sur décision de la DGCCRF.
«Il est inacceptable que des plateformes étrangères puissent vendre en France sans se soumettre aux mêmes règles que nos commerçants. Ce «deux poids, deux mesures» met en danger les consommateurs et fragilise tout un pan de notre économie. Le gouvernement doit agir avec force et sans délai,» souligne Pierre Bosche, président de la CDF. «La sécurité des consommateurs est en jeu ! Il y a urgence à agir pour que les plateformes de e-commerce chinoises respectent strictement les normes existantes ; et pour permettre le retour à une concurrence loyale et équitable entre les acteurs. L’enjeu est à la fois économique, social et sociétal», renchérit Yves Audo, président du CdCF.
Des parlementaires du Nord montent au créneau
Une dizaine de députés et sénateurs du Nord ont par ailleurs adressé le 12 mai un courrier au ministre de l’Économie, Éric Lombard, comme l’a révélé le média Contexte. Tous jugent les mesures annoncées par le gouvernement début mai « trop lentes« , et donc «incompatibles avec l’urgence de la situation». Les parlementaires ont repris les exigences de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), de l’Alliance du commerce et des dirigeants des entreprises françaises Kiabi, La Redoute, Blancheporte, Damart, Grain de Malice, qui avaient été reçus par le cabinet d’Éric Lombard le 6 mai dernier.
Et bientôt Amazon Haul
Le marché de l’ultra-fast fashion ou de l’ultra-discount continue quant à lui de faire des émules. Dernièrement, c’est la plateforme low cost Amazon Haul, créée en novembre 2024 aux États-Unis pour concurrencer les géants chinois, qui a été lancée en version bêta au Royaume-Uni. Les clients peuvent acheter des produits à très bas prix dans de nombreuses catégories, notamment la mode, la maison et le style de vie, sur l’application Amazon Shopping. Elle propose des centaines de millions de produits dans plus de 30 catégories pour 20 £ ou moins, la majorité pour moins de 10 £ et certains pour seulement 1 £ et promet des livraisons en deux semaines ou moins. « Nous nous efforçons constamment d’offrir la meilleure expérience d’achat possible à nos clients et il s’agit d’un autre moyen de proposer des prix bas sur une large sélection de produits », a déclaré John Boumphrey, directeur d’Amazon au Royaume-Uni. « Aujourd’hui plus que jamais, nous savons que nos clients cherchent à faire des économies, et nous sommes ravis de leur offrir davantage d’options par le biais de l’application de shopping qu’ils connaissent et apprécient déjà. »
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