Les talents du retail doivent désormais intégrer de nouvelles composantes en matière d’omnicanal, de clienteling et de développement durable. Recruter et retenir les équipes en magasin, en particulier dans l’univers du luxe, devient plus compliqué selon un rapport du Comité Colbert et du cabinet Mad.
Il devient de plus en plus difficile de recruter des talents dans l’univers du luxe. Et plus particulièrement ceux qui sont en première ligne, c’est à dire tous les collaborateurs qui incarnent la marque et interagissent directement avec les clients, tels que les conseillers de vente, les serveurs, les maîtres d’hôtel et les hôtes/hôtesses d’accueil mais également les équipes qui garantissent en coulisses le bon fonctionnement des établissements (stockistes, les femmes de chambre, personnel en cuisine et les équipes opérations en boutique.)
Selon un rapport d’une cinquantaine de pages du Comité Colbert et du cabinet de conseil indépendant Mad, 60% des maisons de luxe déclarent rencontrer des difficultés à recruter des talents retail ou talents de première ligne. S’agissant des postes de directeurs, la situation est encore plus critique puisque 93 % dressent ce même constat. «Dans le contexte économique et géopolitique des derniers mois, les enjeux d’attractivité, d’engagement et de rétention de ces talents restent critiques et plusieurs grandes questions se posent pour y répondre : comment mieux connaître ces profils pour les recruter et les développer de manière pertinente ? Comment tirer le meilleur parti des opportunités offertes par l’intelligence artificielle en matière de gestion des talents de première ligne ? Comment répondre aux nouvelles attentes exprimées par ces talents tout en soutenant les ambitions des Maisons ?», interrogent les auteurs de cette étude réalisée entre avril et juin 2025 à partir d’un questionnaire en ligne, d’interviews de dirigeants de l’industrie du luxe et de diverses recherches documentaires. Trouver les bons profils devient d’autant plus compliqué que les compétences attendues ne cessent de se complexifier, que l’on parle d’omnicanal, de clienteling et de développement durable.
Des outils numériques qui se multiplient
À mesure que de nouveaux services digitaux continuent de se déployer (click & collect, réservation en ligne, prise de rendez-vous, initiation de l’après-vente etc), les outils numériques en boutique se multiplient. «Au cœur de cet écosystème technologique destiné à offrir une expérience client fluide et sur-mesure, réside la capacité des talents frontline à intégrer ces solutions. Il leur faut non seulement maîtriser des outils dont l’intégration n’est pas encore aboutie, mais aussi assurer la gestion opérationnelle des services déployés (ex : réception et transfert des colis, attribution et préparation des RDV), tout en maintenant les plus hauts niveaux d’excellence», constatent les auteurs du rapport.
Une nécessaire compréhension des engagements de l’entreprise
Les outils digitaux permettent de connaître toutes les interactions d’un client avec la griffe et aident le conseiller de vente à créer une relation hyper personnalisée au-delà des murs de la boutique, qui est attendue par le client. «Ne pas en prendre le virage, c’est prendre le risque de décevoir le client et de perdre des opportunités de ventes. Tout l’enjeu pour les maisons est de réussir à utiliser ces outils à bon escient, c’est à dire de manière efficace et éthique, où la technologie sert à enrichir l’expérience client sans jamais la déshumaniser.»
Au-delà de l’omnicanal et du clienteling, les talents du retail doivent aussi développer leurs compétences pour répondre à la montée en puissance des préoccupations socio-environnementales. «Cela nécessite en amont une compréhension approfondie des engagements de l’entreprise, de sa politique globale, une connaissance détaillée des chaînes de production, ou des sources d’approvisionnement alors que ces populations sont par ailleurs sans cesse sollicitées pour développer leurs connaissances produit et affiner leurs techniques de vente.»
De nouveaux rôles en boutique
Face à ces nouvelles exigences, les directeurs de boutique ont un rôle clé à jouer pour accompagner le changement et orchestrer l’opérationnel. 77% des organisations interrogées identifient ainsi le management des équipes comme une compétence essentielle à renforcer chez les managers et directeurs de boutique. Le développement des capacités de réflexion stratégique est également considéré comme prioritaire par 74% d’entre elles. «Au-delà des nouvelles compétences requises pour l’ensemble des équipes retail, on constate aussi le développement de nouveaux rôles en boutique. Les rôles dédiés à l’hospitality se renforcent avec des hôtes, des responsables d’accueil et des « client experience managers ». Le clienteling, quant à lui, est piloté et structuré en boutique par des « clienteling specialists » ou « client development managers », assurant un suivi toujours plus personnalisé des clients, et en particulier des clients locaux et des VIC (Very Important Clients). Les équipes de spécialistes SAV s’étoffent, elles aussi, et des artisans rejoignent les boutiques pour incarner l’excellence des maisons. »
L’IA pour réduire les temps de recrutement
Le rapport particulièrement riche fait le constat que faute de systèmes unifiés et d’équipes formées à l’analyse, la donnée RH reste sous exploitée, «entrainant un manque de visibilité sur les talents internes et un recours parfois plus facile à l’externe, ce qui peut être source de frustrations pour les talents internes». Il consacre aussi un focus à l’apport de l’IA dans les recrutements. «Une solution prometteuse pour mettre en relation compétences, aspirations et besoins opérationnels et favoriser de ce fait l’engagement et la rétention des talents.» Si 87 % des acteurs du luxe n’ont pas encore intégré l’IA dans la gestion des talents, 77 % prévoient de le faire dans les trois prochaines années. «Ceux qui l’utilisent déjà constatent un impact positif, avec des gains significatifs en volume de recrutement et une réduction notable du turnover.»
L’une des principales contributions de l’IA réside dans l’automatisation de tâches chronophages. «Les recruteurs peuvent ainsi désormais s’appuyer sur des Applicant Tracking Systems (ATS), capables de filtrer automatiquement les candidatures en fonction de critères prédéfinis. Pour les entreprises recevant plusieurs milliers de CV par offre, cette technologie représente un atout considérable, accélérant la présélection tout en améliorant la pertinence du tri.» Starbucks Australie est cité comme exemple. L’enseigne a introduit Sapia.ai, une technologie d’intelligence artificielle intégrée à la plateforme de recrutement SmartRecruiter qui a permis de libérer près de deux jours par semaine pour chaque recruteur et a amélioré le mode de sélection.
Autre exemple : celui de la chaîne de restaurants texmex Chipotle qui a également annoncé le lancement d’une nouvelle plateforme de recrutement basée sur l’IA générative, développée en collaboration avec l’entreprise Paradox. «Au cœur de ce dispositif, un chatbot nommé «Ava Cado» joue le rôle d’assistant virtuel de recrutement. Celui-ci est notamment chargé de collecter des informations basiques sur les candidats, de planifier des entretiens à partir des disponibilités respectives et d’envoyer des offres aux candidats sélectionnés par les recruteurs. Multilingue, Ava peut interagir en anglais, espagnol, français et allemand. Grâce à cette automatisation, les managers peuvent consacrer davantage de temps à la gestion opérationnelle des restaurants plutôt qu’à des tâches répétitives comme la planification des entretiens ou la collecte d’informations. L’impact attendu est une réduction de 75 % du délai nécessaire pour pour voir un poste. D’autre part, ce nouveau système contribue à enrichir et fluidifier l’expérience candidat. En simplifiant le processus de recrutement et en facilitant les interactions dès les premières étapes, Chipot le renforce ainsi son attractivité et son image employeur».
Des chatbots pour répondre aux candidats et des « Talent Marketplaces »
Le rapport note que de nombreuses entreprises introduisent également des chatbots capables de répondre 24h/24 aux questions des candidats de façon instantanée et personnalisée (comme la chaîne hôtelière Marriott ou L’Oréal avec son chatbot «Ollie»). L’IA générative permettrait également d’anticiper le risque de départ d’un collaborateur, la probabilité qu’un candidat accepte une offre ou encore la performance future d’une nouvelle recrue. «Cette capacité prédictive permet d’adopter une gestion proactive des ressources humaines», notent les auteurs qui constatent également que l’IA devient «un catalyseur de mobilité interne, moteur d’engagement et de rétention, en particulier pour les talents frontline», en apportant notamment des recommandations sur-mesure.
Le groupe industriel Safran qui a lancé en 2023 «Selia Skills», une «Talent Marketplace» développée en collaboration avec l’entreprise française Neobrain, est citée en exemple. Sur cette plateforme, chaque employé dispose d’un profil personnalisé, enrichi au fil du temps par ses compétences et ambitions. L’intelligence artificielle propose ensuite des postes internes en adéquation avec ses compétences, formations ciblées pour accélérer sa montée en expertise, trajectoires de carrière stratégiques alignées avec ses ambitions professionnelles. Ces « Talent Marketplaces » sont toutefois peu présentes encore dans les maisons et groupes de luxe. «Quelques explorations plus poussées sont en cours dans le secteur de la mode et maroquinerie mais les autres secteurs réservent pour l’instant l’IA à d’autres applications, autour de la création, de la supply chain et du clienteling».
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