Fidèle à une approche « test and learn », le groupe SEB a placé l’innovation au cœur de sa stratégie, que ce soit dans ses produits ou dans son business model.
Ancré dans le territoire français avec Moulinex notamment, le groupe SEB est présent dans 37 pays et il est devenu une référence mondiale du petit équipement domestique avec au total 45 marques. Certaines sont grand public et mondiales à l’instar de Tefal, Rowenta, Moulinex, Krups, ou plus régionales comme SEB et Calor, mais aussi premium (De Buyer, Forge Adour…), ou encore professionnelles (Zummo, Curtis). L’industriel dont le nom est l’acronyme de « Société d’Emboutissage de Bourgogne », né en 1857 en Côte d’Or, a affiché un chiffre d’affaires légèrement supérieur à 8 milliards d’euros en 2024, en hausse de 5%, pour un bénéfice final de 800 millions (+10% par rapport à 2023). Il annonce avoir commercialisé 416 millions de produits dans 150 pays, hors ventes professionnelles et accessoires.
Évaluer les pratiques qui font sens avec l’IA
Positionné BtoBtoC, le groupe fournit les rayons de la grande distribution, comme ceux de Auchan ou de Carrefour, les pure-players comme Amazon, et a commencé à vendre en direct aux consommateurs depuis 2020 via 200 sites e-commerce, sur des marketplaces, le social media dont WhatsApp, Messenger et des apps de marque. Il a construit au fil des années et à travers ses acquisitions, un vaste réseau de magasins dans le monde, dont les magasins Home & Cook, implantés dans les outlets en France. «Cette stratégie DtoC induit beaucoup plus de relations et d’interactions avec les consommateurs», souligne Serge Miard, directeur du développement des services consommateurs chez SEB. Le responsable intervenait aux côtés de ses collègues Geoffrey Huber, EMEA e-commerce category manager et Antoine Pourron, international SEO manager, lors d’une conférence organisée par Semji dont il est l’un des clients pour sa stratégie SEO. Il a raconté comment il utilisait des outils à base d’IA pour notamment mieux gérer sa relation client. Mais l’appel à cette technologie ne s’arrête pas là. «L’IA chez nous, c’est une équipe de représentants des ressources humaines, du département informatique et du business que je représente. Nous avons formé cette équipe pour aider le Comex, encadrer les pratiques de l’IA, collecter et évaluer les pratiques qui font sens et qui apportent de la valeur pour le groupe. Notre mission est aussi de s’assurer que les IA qui vont être utilisées respectent notre éthique, d’avoir une pratique sécurisée. Elle est également d’aider à l’adoption, au développement des pratiques et de la connaissance de l’IA et d’offrir des « guidelines » à l’ensemble de nos collaborateurs, soient 18000 personnes qui sont connectées au système information», précise Geoffrey Huber.

Dans cette approche, le groupe met dans la balance des opportunités et des risques engendrés l’IA, en particulier l’IA générative. «Sur cette dernière, nous voyons ce qu’elle peut nous apporter en termes de réduction de coûts, en gain de croissance, en chiffre d’affaires, de marge et productivité pour nos collaborateurs», poursuit Geoffrey Huber. Mais il s’agit aussi de bien mesurer les risques de fuites de données et d’utiliser des modèles qui respectent les droits de propriété. «Nous regardons également comment étendre des usages à plus grande échelle, de manière sécurisée avec nos systèmes. Enfin le dernier risque connu de tous est celui des hallucinations, appelé souvent « bullshit. » L’IA peut mentir, raconter des bobards.» Pour éviter ces problèmes le groupe a instauré trois systèmes de gouvernance, avec des comités de suivi, de direction. Il dispose aussi d’une instance, appelée la «Watch Tower», qui regroupe l’ensemble des fonctions spécialisées dans la cybersécurité, la propriété intellectuelle et le RGPD.
Mesurer le coût et les capacités de déploiement
Une quarantaine d’applications ont, quant a elles, été développées dès novembre 2023 avec une approche «test and learn» et sur deux axes. L’un étant de vérifier si elles ont un impact direct sur le PNL, avec des objectifs matérialisés par des gains de marge ou des réductions, ou des impacts indirects liés à la productivité des employés. «SEB IA réunit les outils mis en place et internalisés avec ChatGPT mais également Mistral. Ils sont basés sur des serveurs européens et mis à la disposition des employés», détaille Geoffrey Huber. Le second axe consiste à mesurer le coût, fort ou faible, des applications et des cas d’usage, celles qui pourront être utilisées sans besoin de développement en interne, celles à plus forte capacité de déploiement et qui pourront se connecter aux solutions déjà en place. Enfin, le temps que cela peut prendre aux équipes est aussi analysé. «Nous pouvons internaliser une compétence et moins payer une agence, par exemple.» Dans les projets qualifiés de «probants» par le groupe et utilisant l’IA il y a des cas simples de créations de newsletter qui ont été internalisées, des systèmes de veille concurrentielle pour la finance, le remplissage semi-automatisé des fiches produits sur les sites e-commerce des clients professionnels comme Darty, la mise en place d’un chatbot pour les employés, l’optimisation de formats vidéo, la traduction de recettes en 32 langues ou encore l’automatisation de commandes dans l’ERP SAP.

Un premier échec pour le SEO généré par l’IA
L’intelligence artificielle a également été intégrée au processus SEO après un premier «Proof of Concept» qui a été un échec. «L’une des stratégies principales en SEO est de créer du contenu de qualité, utile et à valeur ajoutée pour les consommateurs, qu’il faut optimiser pour Google et les autres moteurs de recherche. Le problème c’est que cette création de contenu peut prendre beaucoup de temps quand c’est fait en interne et cela peut devenir très coûteux si c’est externalisé. Nous avons essayé de trouver des techniques pour faire toujours mieux et toujours plus vite avec la meilleure qualité», rappelle Antoine Pourron. Les IA génératives sont alors considérées comme une «formidable opportunité». Moins d’un an après la sortie de ChatGPT, les équipes de SEB, accompagnées par un partenaire de groupe qui développe des solutions IA, ont réalisé un premier POC durant trois mois. L’objectif était alors de gagner du temps et de créer une centaine de contenus éditoriaux optimisés SEO. La solution du partenaire, testée sur le site de « rowenta.fr » était basée sur Vertex AI de Google Cloud, nourrie via le «brand book» qui résume l’ensemble des «guidelines» de la marque, alimentée aussi via des prompts avec des recommandations SEO provenant de l’outil Yourtext.Guru (outil SaaS conçu pour optimiser la rédaction web et la stratégie de contenu). «Rapidement nous avons réussi à générer 100 contenus. Mais nous nous sommes rendus compte après relecture avec les équipes en interne que ce n’était pas publiable. Il y avait des erreurs, certaines fautes en français, une structure HTML peu optimisée, une approche brute et trop tournée sur la quantité. Finalement il y avait un gros travail humain à prévoir. Nous avons vu les limites de Vertex. Finalement nous avons arrêté ce POC. En parallèle, nous discutions avec Semji qui développe un outil de création de contenu optimisé SEO et intègre les fonctionnalités IA», raconte Antoine Pourron.

Un contenu optimisé et d’importantes réduction de coûts
Cette fois le test avec Semji a duré huit mois. L’objectif est aussi de disposer d’un outil qui puisse être déployé à l’ensemble des filiales locales du groupe en plus de la centrale. L’agence a fourni les recommandations SEO, l’IA a été nourrie également avec le «brand book» pour plus de personnalisation et une centaine de contenus ont été générés dans cinq marchés différents. «Nous avons mis à peu près 30 minutes à une heure pour générer chacun des contenus et 98% ont été validés par les équipes locales. C’était une très bonne nouvelle. Nous avons eu de bons positionnements.» L’outil dont l’interface permet de customiser l’IA en fonction d’un «brand voice» (qui englobe les mots, le langage, la personnalité de marque), a été déployé plus largement au sein du groupe. «A l’issue de ce POC nous avons, par exemple, créé dix contenus sur Moulinex France, onze sur Moulinex Espagne sur les six derniers mois. Nous avons généré sur Moulinex France 27000 clics provenant du SEO, donc organique Google, et 18000 clics sur Moulinex Espagne.»
Après environ trois mois de publication, la marque a pu se positionner à la première place sur les demandes telles que «quelle est la meilleure friteuse pour cuire sans huile» en Espagne, ou encore à se placer dans le trio de tête pour son aspirateur balai lors du Black Friday. Le test a aussi permis à l’équipe de développer un process en interne pour le SEO par marché, à créer des « guidelines » assez précis pour le siège. «Le travail humain est toujours important mais la solution permet d’accélérer. Nous mettons une heure au maximum à créer un contenu, de la page blanche jusqu’au moment où il est validé par les filiales locales. C’est 80% de réduction de coûts par rapport au travail humain d’une agence et le ROI estimé en termes de trafic et de chiffre d’affaires est multiplié par 2 à 8». Fort de ces résultats, l’outil a été déployé cette année à l’ensemble des marchés. Tous les contenus sont relus par l’humain et sont sujets à des améliorations pour y ajouter un maximum de valeur ajoutée.
Une conversion multipliée par trois fois grâce au chatbot
L’IA est aussi mise à contribution pour le service consommateur ou la direction du SAV. «Un peu plus de dix produits sont vendus par seconde dans le monde par le groupe SEB. Cela représente plus de 40 marques et plus de 60 catégories. Il y a une masse phénoménale de questionnements des consommateurs autour de ces produits, des millions d’interactions consommateurs dans l’année sur le web et directement suite à des requêtes consommateurs auprès de nos centres de contacts sur différents canaux, téléphone, mail, social media, web forums, chat etc », énumère Serge Miard. Pour y répondre des contenus sont référencés et donnent la possibilité aux consommateurs d’y accéder par eux-mêmes en mode «self care». «Nous sommes présents sur tout le parcours consommateur», rappelle Serge Miard.
L’entreprise a par ailleurs lancé deux pilotes un France et en Allemagne avec des technos et approches différentes avec l’IA. «Nous souhaitions accompagner le consommateur avec l’humain et finalement nous avons mis en place une solution à vocation de chat et chat vidéo. Cette solution qui disposait d’une capacité de chatbot avec des possibilités à base d’IA, a été mise en œuvre pour Moulinex en France et nous avons vu des bénéfices induits, tout d’abord une disponibilité 24h sur 24 et 7 jours sur 7 et du temps gagné pour le consommateur qui trouve rapidement la réponse à un questionnement que ce soit avant, pendant, ou après la vente.» Conséquences : la satisfaction consommateur a été améliorée avec un taux de satisfaction de 90% et l’outil a généré des économies. Plus besoin de passer par le centre de contact consommateur pour avoir des réponses à des questionnements basiques, ce fameux « where is my order ?», pour disposer d’une facture ou trouver un réparateur. Le taux de conversion a par ailleurs été multiplié par trois selon l’entreprise. «On convertit trois fois plus une fois que le consommateur est passé par le chatbot et a été rassuré. Parfois ce sont des questionnements assez basiques liés à la durée de garantie, au fait que tel article passe ou non au lave-vaisselle. Pour la plupart, les réponses sont déjà présentes sur le site à travers les pages produit ou les FAQ mais le consommateur n’a plus vraiment le temps d’aller les chercher », constate Serge Miard.
L’importance de l’intégration dans l’écosystème technologique
Fort de ce constat, le groupe a recherché des solutions, en a identifié un peu plus de 300, en a sélectionné une cinquantaine et en a « pitché » six pour en retenir deux au final. «Elles sont en train de subir les derniers petits crash-tests avant notre choix définitif. Il faut les nourrir avec les bons contenus, les bonnes informations et bases de données pour pouvoir répondre efficacement aux consommateurs. Elles doivent être alimentées régulièrement avec de nouveaux contenus pour devenir plus performantes à travers le temps.» Le parcours consommateur doit par ailleurs être organisé afin d’être orienté vers un chatbot ou un autre canal. «L’élément clé c’est aussi l’intégration dans l’écosystème technologique et nos plateformes diverses et variées». SEB s’appuie notamment sur Adobe Commerce et Magento, SAP commerce Cloud pour ses sites e-commerce, sur Salesforce, Bynder pour son DAM et Qlik pour l’informatique décisionnelle et la visualisation de données.
Mieux détecter les problèmes de qualité
Cette masse énorme d’informations liées aux retours consommateurs, est triée, analysée par l’IA pour identifier les problèmes de qualité et de durabilité. «Il y a toujours des éléments quasi imprévisibles au moment de l’usage de nos produits, avec parfois des usages détournés. Nous avons besoin d’avoir un retour d’information extrêmement rapide. Si il y un problème, le consommateur revient vers le distributeur ou vers le centre de réparation. Les produits peuvent être renvoyés à l’usine et tout cela prend du temps avec une perte d’information associée. Nous avons aussi des centaines de milliers de retours consommateur directement auprès de nos centres de contact avec des informations sur le produit, sa référence, le type de problème. Indépendamment de la langue, les données sont désormais extraites de notre outil CRM et nous livrent des détails sur la typologie des problèmes remontés, que ce soit en colombien ou en allemand, et de manière hebdomadaire. L’ensemble de ces verbatim sont catégorisés et alimentent les responsables qualité de manière hebdomadaire.» L’IA génère des dashboards de suivis. «C’est un gain de temps énorme. On intervient directement sur le produit et sur nos chaînes de production», assure Serge Miard.
Au sein du groupe SEB, l’IA est aujourd’hui représentée comme un outil et non pas une finalité, rappellent les trois responsables. «L’IA n’est pas un long fleuve tranquille. C’est une transformation pour les individus. Il est important de bien embarquer les équipes pour éviter les échecs. L’IA apporte de la flexibilité dans le travail, permet de faire des choses par soi-même plutôt que de passer par des prestataires externes. Il faut prendre un peu de temps pour réfléchir et voir comment elle peut nous aider», estime Geoffrey Huber.
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